Premier programme :
« Sing along » autour de La Création (Die Schöpfung), oratorio de J.Haydn
Tradition bien ancrée dans la vie musicale anglaise, Sing along rassemble, à l’occasion d’un événement particulier culturel ou festif, le plus large public autour de formations musicales diverses dans le but de « chanter ensemble ».
A l’occasion de la programmation de la version scénique de « La Création » de Haydn qui sera créée à l’Opéra national de Lorraine en février 2024, Guillaume Fauchère, chef des chœurs, a proposé au service d’action culturelle de saisir cette opportunité pour organiser le 26 janvier 2024 à la salle Poirel une prestation de « chant communautaire » qui rassemblera chœur, orchestre, solistes en pleine préparation du spectacle, et quelque 200 choristes issus des formations chorales locales, dont l’Ensemble Vocal Ars Musica.
Dans un esprit d’ouverture, deux concerts gratuits d’une heure programmés dans la même soirée permettront non seulement de sensibiliser le public à l’œuvre de Haydn en proposant de larges extraits de La Création, mais aussi de fédérer autour d’un projet commun les acteurs musicaux de la cité nancéienne, qu’ils soient musiciens professionnels ou choristes amateurs passionnés par la pratique du chant choral.
Deuxième programme :
Franz Liszt et Francis Poulenc
« Résonances sacrées »
Sous l’égide de François d’Assise…
En commun, ils ont le prénom : « Franciscus », en version germanique Franz pour l’un, en version française Francis pour l’autre. Tous deux sont donc placés sous la protection de Saint François d’Assise, alias Giovanni di Pietro Bernardone. De retour à Assise de son voyage en France où il a fait de très bonnes affaires et en hommage à ce pays, son père lui donnera cependant le nom de Francesco, nom qu’il conservera et sous lequel il sera mondialement connu et célébré jusqu’à nos jours…et en 2013 un archevêque argentin accédera au pontificat sous le nom de Pape François !
François d’Assise avait fondé en 1210 le tiers ordre franciscain, et c’est cette association pieuse laïque que Franz Liszt rejoindra en juin 1857, avant de recevoir la tonsure et de se faire confectionner un habit franciscain avec lequel il posera pour la postérité et dont il souhaitera être revêtu lors de sa sépulture. Quant à Francis Poulenc il composera dans l’été 1948 les Quatre Petites Prières de Saint François d’Assise pour chœur d’hommes a capella… et la première américaine de son opéra Le Dialogue des Carmélites (ordre monastique féminin dont l’ascétisme est proche de celui des Clarisses fondé par François et Claire d’Assise) sera donnée… à San Francisco !
Un même retour à la foi catholique
En commun ensuite, ils ont tous deux opéré une sorte de retour à la foi religieuse, après avoir mené une vie séculière mondaine voire dissolue, à l’instar de leur protecteur. En effet François d’Assise a vécu une jeunesse dissipée marquée par les aspirations hédonistes de son époque ; il a probablement rencontré plusieurs femmes et en a connu au moins une, au sens biblique du terme. Mais une longue maladie, sa rencontre avec les lépreux et une révélation lors d’une prière devant le crucifix de l’église Saint-Damien opèrent en lui un retournement radical vers la religion catholique ; il entend alors une voix lui demandant de « réparer l’Eglise en ruine ».
L’itinéraire spirituel de Francis Poulenc semble emprunter une voie similaire. Après son expérience libertaire et surréaliste du « Groupe des Six », en compagnie entre autres de Cocteau, Milhaud et Auric « son frère jumeau », il compose dans les années 1925-26 les Chansons gaillardes sur des « textes assez scabreux » selon l’aveu même du compositeur. Mais, à l’âge de 36 ans, le décès de son ami le critique Pierre-Octave Ferroud et un pèlerinage à Rocamadour en 1935 le ramènent vers la foi catholique (dont il s’était détourné depuis la mort de son père en 1917). Il compose alors dans la foulée, en 1936 les Litanies à la Vierge Noire de Rocamadour pour chœur de femmes et orgue, en 1937 la Messe en sol majeur pour chœur mixte a capella, et en 1938-39 les Quatre motets pour un temps de pénitence pour chœur mixte a capella. Toutefois la gravité de ses œuvres religieuses continuera à coexister avec la légèreté de pièces plus fantaisistes telles le conte musical « Histoire de Babar », l’opéra bouffe « les Mamelles de Tirésias » (d’après Apollinaire) ou encore les chœurs profanes des « Huit chansons françaises »… Cette dualité amènera le critique Claude Rostand à user à son encontre de la célèbre formule : « moine ou voyou », ce dont Poulenc était lui-même bien conscient lorsqu’il écrivait à propos de son « Gloria » : « J’ai pensé simplement , en l’écrivant, à ces fresques de Benozzo Gozzoli où les anges tirent la langue, et aussi à ces graves bénédictins que j’ai vus un jour jouer au football ».
« Mon père craignait que les femmes troubleraient mon existence et me domineraient ». Tel est l’aveu exprimé par Franz Liszt dans sa correspondance et il est vrai que sa vie sentimentale agitée a pu donner raison à l’intuition paternelle ! Jusqu’à la mort de son père, il opère une sorte de refoulement de ses élans amoureux en se réfugiant dans la religion, mais sa disparition va le contraindre à donner des leçons de piano qui vont être autant d’occasions de succomber au charme de la gent féminine. Caroline de Saint-Cricq fut son premier grand amour, mais la famille refusera catégoriquement cette mésalliance avec un artiste, ce qui plongera Liszt dans une profonde crise mystique. Il songe alors à entrer dans les ordres mais son confesseur, amateur de musique, l’en dissuade : sa profession d’artiste sera sa manière de servir Dieu et l’Eglise ! Mais, grand séducteur, Liszt succombe à quelques aventures avant de connaître une liaison adultère de sept ans avec Marie d’Agoult qui lui donnera trois enfants (dont Cosima, future épouse de Wagner). En 1847 il rencontre à Kiev la princesse Carolyne de Sayn-Wittgenstein qui vit séparée de son mari ; cette liaison durera une douzaine d’années, portée par l’espoir de voir le pape accorder la nullité du mariage de la princesse…en vain. Liszt se tournera alors résolument vers la religion : « après m’être douloureusement privé pendant trente années du sacrement de pénitence (…) ma vie n’a été qu’un long égarement du sentiment de l’amour » écrira-t-il à Carolyne en 1877. L’abbé Franz Liszt croit comprendre alors qu’il a fait fausse route et consacre tout son art à la musique religieuse… en dépit de quelques dernières liaisons sentimentales ! Toute sa vie aura donc été soumise à une perpétuelle tension entre trois composantes irréductibles : l’amour, la religion et la musique.
Une même volonté de renouveler la musique religieuse
En commun enfin, Francis Poulenc et Franz Liszt ont entrepris de renouveler le langage religieux à la lumière d’une conception personnelle de l’expression musicale.
« Ma seule ambition de musicien était et serait de lancer mon javelot dans les espaces indéfinis de l’avenir. » C’est ainsi que Liszt définit son projet artistique, tournant le dos à la tradition, bousculant tonalité, mesure, technique instrumentale… Ses détracteurs ne manqueront pas de dénoncer ce mépris insolent des convenances en présentant, comme un désordre indescriptible, cette « musique de l’avenir » . Debussy prendra parti en sa faveur en déclarant que « la fièvre et le débraillé [sont] préférables à la perfection, même en gants blancs » ! Au fil de ses œuvres, il multiplie les expérimentations : leitmotiv, sospiro, gamme pentatonique… et peu à peu il va mettre la sonorité au centre de ses investigations, aspirant même à la « suppression de la tonalité », comme le rapporte une confidence recueillie par Vincent d’Indy, confinant ainsi à l’impressionnisme musical. Ses œuvres religieuses seront marquées par cette exigence novatrice, notamment ses oratorios « Christus » (qu’il considérait comme sa meilleure pièce) , ou encore « Via Crucis », une pièce écrite pour chœur et orgue où il mêle la théâtralité et le style polyphonique de ses grands poèmes symphoniques au plain chant et à une simplicité toute franciscaine.
De la même manière, Francis Poulenc se veut anti-académique. Dès la formation du » Groupe des Six », il s’efforce de démythifier la « grande musique » au contact du music- hall, du sport, du cirque, de la nature… comme l’atteste la partition du ballet de Cocteau « Les mariés de la Tour Eiffel ». Mais il conteste aussi l’héritage romantique. Dans un entretien avec Claude Rostand daté de 1954, Poulenc confiera qu’à cette époque déjà les compositeurs du Groupe revendiquent « la réaction contre le flou, le retour à la mélodie et au contrepoint, la précision, la simplification… ». Et de ce point de vue, le meilleur Poulenc est sans doute le compositeur de musique sacrée qu’il devient à partir de 1936, par vocation, à la suite de son pèlerinage à Rocamadour. Ses pièces religieuses, notamment les motets pour chœur mixte a capella, tels ses Quatre motets pour un temps de pénitence ou son Salve Regina, par la spontanéité de leur inspiration et la pureté du style, lui permettent d’inventer une sorte de classicisme bien à lui.
Ainsi, au-delà des particularités de leurs styles respectifs, Franz Liszt et Francis Poulenc, réunis dans une même heure franciscaine, expriment une même ferveur religieuse et entendent la faire partager en mettant en œuvre un langage musical novateur destiné à séduire et à émouvoir.
Ce programme sera donné en concert à Bayon, Bar-le-Duc et Nancy en juin 2024